Nous avons appris il y a peu que l’association Énergie jeunes, déjà implantée au collège Matisse de Garges-lès-Gonesse, avait tenté de s’immiscer au collège Picasso. Loin d’être une simple structure travaillant sur le décrochage scolaire, Énergie jeunes se révèle en réalité un cheval de Troie des grandes entreprises destiné à diffuser une morale ultra-libérale dans l’Éducation Nationale.
TRAVAILLER LA PERSÉVÉRANCE SCOLAIRE DANS LES QUARTIERS LES MOINS FAVORISÉS
Intervenant dans les collèges, l’association propose trois séances de 55 minutes sur les quatre niveaux. Elle prétend mettre en œuvre « un programme innovant fondé sur des travaux de recherche universitaire récents ». Digne des meilleures campagnes de publicité pour la lessive, la communication d’énergie jeune vante encore des « résultats remarquables » soulignés par des chercheurs dont on peine à connaître l’identité et la discipline. L’intervention en établissement est gratuite et repose sur l’investissement de bénévoles, de salariés « d’entreprises citoyennes » (sic) et de jeunes en service civique.
La structure est également « reconnue d’utilité publique », elle dispose d’un Agrément National délivré par le Ministre de l’Éducation Nationale et d’une place de choix sur le site Eduscol. Très soutenue sous Najat Vallaud-Belkacem, l’association a su nouer des partenariats avec de nombreuses académies, dont très tôt celle de Versailles. On la retrouve également dans beaucoup de CDI via le magazine Le Monde des Ados. Ils y délivrent des conseils pour la réussite.
UN CHEVAL DE TROIE POUR LES GRANDES ENTREPRISES
A première vue donc, on peine à apercevoir le loup, et pourtant. Parmi les partenaires de l’association qui pour certains sont en réalité à son conseil d’administration, on compte deux ou trois
« entreprises citoyennes » bien connues : Airbus, la Fondation Bettencourt Schueller, BNP Paribas, EDF, L’Oréal, Manpower, Nestlé, Orange, Renault, Safran, Véolia et quelques autres bienfaiteurs remarqués pour leur altruisme économique.
Cet investissement des grands groupes dans « l’entreprenariat social » n’est plus une nouveauté. Ce relooking social permet de redorer le blason d’entreprises souvent prédatrices au niveau économique et peu « citoyennes » lorsqu’il s’agit de garantir à leurs salarié-e-s de dignes conditions de travail.
De plus, cette tendance de fond à intervenir dans l’éducation relève d’une stratégie ouvertement revendiquée dont l’objectif est de faire des acteurs privés des partenaires voire des acteurs indispensables à la gestion des services publics. Il va de soi que les objectifs de ces groupes entrent en collision avec ceux des services publics lorsque ceux-ci y introduisent les logiques de concurrence, de mérite et de réussite personnelle au détriment de l’égalité et des droits collectifs constitutifs des logiques publiques.
Pseudo-soutiens d’aujourd’hui, ces entreprises visent bien le positionnement sur un marché de l’éducation qui s’avère bien juteux pour demain.
MARKETING AGRESSIF ET TECHNIQUES DE MANAGEMENT : DES MÉTHODES TRÈS DISCUTABLES
Bien rodées, les techniques d’implantation de l’association sont à l’image de son fondateur, expert en stratégie et en management : agressivité et morale ultra-libérale.
Pour s’implanter dans les établissements, l’association propose ainsi des plaquettes vantant les mérites extraordinaires de leurs méthodes. Sur le terrain, les collègues se retrouvent donc face à cet intervenant sorti de nulle part et qui se présente comme une simple association. On est toutefois en droit de se demander quelles peuvent bien être les compétences en gestion du décrochage scolaire d’un-e salarié-e d’une grande entreprise. L’enseignement est un métier qui repose sur des habiletés qui dépassent nous semble-t-il la capacité à animer un atelier de développement personnel. Mais avant d’arriver devant les enseignant-e-s, c’est bien une stratégie ultra-agressive inspirée des techniques de vente du privé qui leur permet parfois à l’usure d’obtenir l’accord des chef-fe-s d’établissements.
En classe et sous le verni de bienveillance et d’aide aux plus socialement démunis, les séances proposées s’avèrent être de véritables plaidoyers pour une morale ultra-libérale. Tout y passe : mérite personnel, persévérance, mythe de l’égalité des chances, responsabilisation individuelle des destins sociaux etc.
On trouve par exemple ce genre de prose sur leur site :
« Selon les recherches, le degré d’autodiscipline d’un enfant permettrait de prédire, avec deux fois plus de pertinence que ne le permet la mesure du Q.I., son succès scolaire puis universitaire. »
On voit bien là par la référence au Q.I. et à l’autodiscipline comme explications des inégalités sociales à qui on a affaire : une association bien libérale pour qui les inégalités sociales s’expliquent soit par des prédispositions soit par la volonté individuelle.
Quand on veut on peut ! Mais si tu n’as pas pu, si manifestement tu n’as pas réussi à vaincre les déterminismes sociaux, la ségrégation économique, le racisme structurel, le sexisme ordinaire et au travail, c’est probablement que tu ne l’as pas assez voulu !
Ce parti pris idéologique mêlé à une poudre de perlimpinpin scientifique basée en grande partie sur des questionnaires de satisfaction distribués après les séances et remplis à la hâte permet donc à Énergie Jeunes d’affirmer sans sourciller : « [Nous sommes] la première association au monde à traduire ces découvertes scientifiques en programmes concrets, déployés gratuitement et à grande échelle. »
Des soutiens ministériels et académiques, un peu de marketing et l’affaire est dans le sac !
- Sud Éducation 95 dénonce ces stratégies de cabinets de consultants visant à infiltrer l’Éducation Nationale pour y disséminer leur morale individualiste, inégalitaire et culpabilisante auprès des plus touché-e-s par la concurrence économique et les discriminations sociales.
- Sud Éducation 95 s’est déjà opposé avec succès à de telles intrusions forçant les directions à faire marche arrière.
- Nous appelons les collègues des établissements du département à se montrer très vigilant-e-s et inflexibles face à de telles tentatives d’influence des grands groupes sur l’École.
- Nous demandons le rejet des propositions faites au collège Picasso, la fin du partenariat mené avec le collège Matisse à Garges-lès-Gonesse et avec plus généralement avec l’académie.
L’ÉCOLE N’EST PAS UNE ENTREPRISE !
L’ÉDUCATION N’EST PAS UNE MARCHANDISE !
Pour une école publique, égalitaire, laïque et émancipatrice,
défendons les services publiques face aux grandes entreprises !