Alors que seuls 16 % des électeurs de Macron soutiennent son programme, que 61 % ne souhaitent pas qu’il obtienne une majorité à l’Assemblée (sondage Ipsos au 2nd tour) et que le Front National a parfaitement rempli sa fonction d’épouvantail assurant la victoire aux candidats libéraux, un gouvernement résolument antisocial a été présenté le 17 mai. Le MEDEF jubile et nous pouvons nous attendre à une période très thatchérienne dans les années qui viennent.
Pour l’Éducation, on pressentait un « projet » pas très progressiste mais à la nomination de Jean-Michel Blanquer au Ministère, nous en avons la confirmation : il va falloir lutter, et très vite.
Un renouvellement qui sent la poussière
ean-Michel Blanquer n’est pas vraiment un symbole du renouvellement tant promis ni véritablement une personnalité de la société civile. Plutôt un technocrate en réalité. Pressenti comme Ministre sous de Villepin et sous Fillon (lemonde.fr 22/10/2009), il a été entre autres directeur adjoint du cabinet de Gilles de Robien en 2006, recteur de Guyane, puis de l’académie de Créteil de 2007 à 2009, à la tête de la DGESCO de 2009 à 2012, directeur de l’ESSEC Business School… Autant dire qu’il devrait s’installer dans la droite ligne des politiques libérales développées jusqu’ici dans l’Éducation Nationale.
Jean-Michel Blanquer recteur de Créteil
Les méthodes de gestion du personnel de Jean-Michel Blanquer à Créteil, étaient un peu particulières. La politique sarkozyste qu’il a accompagnée n’a pas manqué de lui mettre sur le dos la FCPE et les syndicats. En effet, le 18 novembre 2009, devant l’incroyable pénurie d’enseignants dans le 93, il fait appel par voie de circulaire aux personnes qui, à défaut de licence ont « des compétences avérées » pour occuper les postes non pourvus en tant que contractuels ou vacataires. Aux chefs d’établissements il précise : « en cas d’urgence, vous [pourrez] installer immédiatement la personne que vous aurez choisie, la validation par les inspecteurs venant ultérieurement ».
L’année précédente, cet habitué du remplissage de classes à la va-vite rappelait les retraité-e-s au turbin !
Autre trouvaille du chantre de « l’innovation » et de « l’expérimentation » : proposer des voyages ou des cours de conduite comme remède à l’absentéisme scolaire. Il s’est aussi illustré en lançant un internat d’excellence dans une ancienne caserne et un ERS (établissements de réinsertion scolaire) afin d’enfermer les « perturbateurs ».
Jean-Michel Blanquer à la DGESCO
Faut-il rappeler aux enseignants ces douloureuses années Sarkozy (et Fillon !) au cours desquelles les discours les plus rétrogrades ont servi de feuille de route à la casse du service public ? Notre nouveau Ministre lui, était à cette époque à la DGESCO et en charge de mettre tout cela en application : suppression des RASED, de la formation, discours anti-fonctionnaires, « évaluationnite » dans le primaire (CE1 et CM2), stigmatisation des enfants des classes populaires, méritocratie et compétition entre élèves, entre personnels par les primes et les hiérarchies intermédiaires etc.
Jean-Michel Blanquer militant
L’ancien recteur de Créteil écrit à ses heures perdues dans le journal Le Point. Dans un article en ligne du 09/05/2017, le nouveau Ministre réinvestit le vocabulaire réactionnaire sans sourciller avec l’emploi de mots comme « pédagogisme ». D’après lui, les pédagogies alternatives ne verraient « dans l’enfant [qu’un] petit roi qui construit son savoir ».
Il faut savoir que M. Blanquer a les idées bien arrêtées en ce qui concerne la pédagogie. En effet, celui-ci est aussi membre du comité directeur de l’association Agir pour l’École. Celle-ci est portée par l’Institut Montaigne, un think tank très libéral qui a notamment soutenu le projet de plus en plus controversé de Céline Alvarez à Gennevilliers (La revue du crieur 02/2017). Ses lubies scientistes collent bien avec l’idéologie de l’association. D’après Blanquer, « il faut que le discours de l’institution repose sur des bases véritablement scientifiques », il est aussi nécessaire de détecter « scientifiquement » les difficultés des élèves. Cette approche l’a fait notamment défendre le fichage des enfants « désobéissants » dès l’âge de 3 ans (Café pédagogique 24 /10/2014).
La méthode de lecture utilisée par l’association défend se révèle être fondée sur une vision très caricaturale des sciences de l’Éducation, envisageant l’apprentissage à coups de « stimulations » et de sciences cognitives hasardeusement réinvesties. Dans sa perspective, pas de place pour l’expression personnelle ni pour les interactions entre enfants. Certains parlent même de maltraitance lorsqu’on évoque leurs méthodes (Café pédagogique 29/10/2015). Inutile de le préciser, c’est par la syllabique que l’on jure à Agir pour l’École. Dans la droite ligne de la politique de Gilles de Robien dont il était le sous-fifre.
Dans son livre-programme l’École de demain sorti en 2016 et qui, de son propre aveu, doit lui aussi beaucoup à l’Institut Montaigne, Jean-Michel Blanquer propose de « bâtir un système d’évaluation permettant de mesurer les performances des établissements et les acquis des élèves ». L’évaluation étant son grand dada, on peut s’attendre à une offensive sans précédent qui mettra professeurs et élèves en concurrence et sous la pression constante des résultats. Il y défend aussi le recrutement sur profil et l’évaluation par les chefs d’établissements, l’annualisation du temps de travail des enseignants (il soutient par ailleurs l’augmentation du temps de travail des profs et n’est pas fermé au changement de statut pour aller vers le droit privé), l’autonomie dans la gestion des volumes horaires, les stages de remise à niveau l’été et les études dirigées le soir pour les élèves en difficulté…
Tout aussi inquiétant, Jean-Michel Blanquer remet en cause le collège unique et propose des « parcours personnalisés » pour les élèves perturbateurs.
Pas de doutes, M. Blanquer se situe donc dans la pure tradition libérale et réactionnaire en matière d’éducation.
Le long CV de Jean-Michel Blanquer qui s’accorde bien avec le programme de Macron doit aujourd’hui nous alerter. Décrit par beaucoup de syndicalistes après son passage à Créteil comme un homme aux méthodes brutales et aux démarches obstinées, qui voue un culte simpliste aux résultats d’expériences scientifiques qu’il souhaite transférer telles quelles à grande échelle, le Ministre risque de mettre en place le grand basculement de l’École Publique vers un modèle d’organisation similaire privé.
Loin de nos revendications, ses désirs d’autonomiser les établissements et d’imposer des logiques individualistes et méritocratiques, de faire du chef d’établissement un patron ou encore de casser le Collège unique ne sont pas tolérables et nous devons dès maintenant nous organiser pour défendre nos statuts et le projet d’une autre école, émancipatrice, égalitaire et déconnectée des logiques productivistes des entreprises.