La nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Mme. Amélie Oudéa-Castéra, est entrée en fonction en reprenant une vieille rengaine réactionnaire et mensongère, en blâmant le fonctionnement des écoles publiques et en faisant la promotion des établissements scolaires privés. Elle justifie en effet la scolarisation de ses enfants au Groupe scolaire privé parisien Stanislas (établissement catholique qui propose notamment des enseignements condamnant l’homosexualité et l’avortement) par le « paquet d’heures pas sérieusement remplacées » des établissements publics du secteur.
Cette rhétorique nauséabonde illustre parfaitement le programme du gouvernement Macron pour l’éducation : le démantèlement progressif de l’école publique au profit du secteur privé. Un ravage que la nouvelle ministre va poursuivre tout au long de son mandat.
Le développement des établissements privés
Le ministère de l’Éducation nationale organise le détournement des moyens de l’école publique et finance la ségrégation scolaire en finançant le privé : 15% du budget de l’Éducation nationale, soit plus de 9 milliards d’euros, est consacré au financement des établissements privés sous contrat (loi de Finances 2024). Cette année encore, le budget augmente plus vite que celui du public : dans le 1er degré, on compte +4,6% d’augmentation, dans le 2nd degré, 5,4%, pour le privé sous contrat, c’est une augmentation de 6,7%.
A côté des établissements privés sous contrat et de leur financement, la privatisation rampante de l’éducation se traduit également par le développement des écoles privées hors-contrat. A Argenteuil, dans le Val d’Oise, une école du réseau Espérance banlieue, lié à la Manif pour Tous et aux milieux catholiques traditionalistes1, a ainsi ouvert ses portes en octobre 2021. Un an plus tard déjà, des parents d’élèves dénonçaient des actes de violence et d’humiliation 2.
Par ailleurs, d’autres voies en apparence progressistes se sont multipliées pour défendre le privé et le hors contrat, et accompagner la remise en cause du service public d’éducation. Parmi ceux-là, on compte par exemple une myriade d’écoles privées estampillées « Montessori » : collège à Bessancourt, écoles à Viarmes, Cormeilles-en-Parisis, Taverny, Presles, Pontoise. L’ « offre » scolaire se privatise, se segmente, devient concurrentielle, et continue de creuser les inégalités scolaires et sociales.
Le secteur privé dans l’école publique et son idéologie néolibérale
L’entrisme du privé à l’école se manifeste également par la présence d’entreprises qui ont envahi les établissements scolaires, avec le soutien affiché de l’État. L’externalisation des enseignements, de l’aide et de l’accompagnement scolaire, de l’orientation, de la lutte contre le harcèlement, ainsi que les projet école-entreprise tissent aujourd’hui un maillage solide au sein de l’Éducation nationale.
L’exemple de l’EMI est particulièrement éloquent. A défaut de créer des postes de professeurs documentalistes et de tenir une position claire sur les programmes d’information documentation et sur les heures qui y sont consacrées, nombres d’entreprises et d’acteurs privés se retrouvent en charge d’interventions d’EMI. Parfois, ces interventions sont d’ailleurs les seules que certains élèves auront durant leur scolarité au vu du manque de moyen accordé par l’institution.
A cela s’ajoutent les services fournis par des institutions ou entreprises privées quant aux logiciels et équipements scolaires, qui créent un formatage et une dépendance toujours plus fortes, tant des élèves que du personnel éducatif, au bénéfice du privé (des ENT des collèges et lycées choisis de manière centralisés, jusqu’aux ressources multimédias intégrées dans les ENT proposées par les collectivités territoriales).
Les moyens accordés aux établissements pour le suivi et l’accompagnement des élèves étant particulièrement inconséquents, il revient généralement aux équipes éducatives de compenser ces carences. L’orientation est ainsi devenu un espace privilégie pour les entreprises pour mettre un pied dans l’enseignement public : les écoles privées profitent d’événements tels que les forums e l’orientation pour attirer les élèves, au détriment des écoles et des universités publiques.
Si la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 avait déjà renforcé la place des régions dans l’orientation, sans moyens correspondants, la sous-traitance s’est depuis organisée: coachs, start-ups, salons d’orientation pour la plupart privé… Les écarts entre régions sont par ailleurs très forts : la région Auverge-Rhône-Alpes y consacre un budget de 26,5M d’euros, contre 1,3M d’euros en Île-de-France.
Dans le Val d’Oise, l’association Article 1, organise des interventions, des conférences et des ateliers sur le temps scolaire. Il s’agit notamment de « coacher » les élèves et de « développer des soft-skills ». A ce titre, cette association propose aux étudiants de BTS un atelier « Découvrir et identifier ses soft-skills ». Il est difficile de ne pas y voir la volonté de plier nos élèves au monde de l’entreprise et à ses rapports de domination.
Dans un collège de Taverny, l’aide au décrochage scolaire est en partie externalisé et assumé par Selec+. Les élèves suivi·es sont ainsi « coaché·es », et les actions proposées vont de la « prévention du décrochage scolaire » au « développement personnel (confiance, estime, compétences transverses, futur projet de vie…) ».
Ainsi, dans le Val d’Oise, le foisonnement des acteur·rices de l’orientation participe à cette externalisation au profit du secteur privé. Cet entrisme du secteur privé s’immisce également dans les enseignements à l’égalité fille-garçon ou à l’écologie. L’association « Elles bougent », très ancrée dans le 95 revendique ses liens avec Dassault ou Safran.
Si certaines de ces démarches peuvent paraître légitimes et s’il ne s’agit pas de rejeter intégralement et par principe les interventions du secteur privé à l’école, y porter un regard critique et questionner nos postures et nos responsabilités et, parfois, y résister, nous paraît nécessaire : sont-elles bien compatibles avec notre éthique professionnelle ? Répondent-elles à des besoins, réels, auxquels nous ne pouvons répondre ?
Face à l’offensive du privé
Ces projets et ces interventions du privé se sont développées sur le lit des politiques gouvernementales de dégradation du service public d’éducation. Et aujourd’hui, la présence de ces projets dans les écoles est bien souvent présentée comme acquise. Or, certaines « valeurs » capitalistes et néo-libérales apparaissent rapidement dans ces projets : employabilité dès le plus jeune âge, argent comme perspective désirable, individualisme des réussites personnelles…
Il nous paraît ainsi indispensable de construire collectivement des démarches critiques et, par extension, d’opposer des refus fermes et assumés à l’entrisme du secteur privé dans nos établissements scolaires. Ces voix peuvent être portées par les équipes au sein des conseils d’administration des établissements.
A Sud éducation 95, nous appelons les équipes se saisir de cette problématique et à porter ces discussions en Heure d'Info Syndicale et en Conseil d'Administration.
Pour Sud éducation 95, il est plus que temps de reprendre le débat sur la fin du dualisme scolaires : ● En mettant fin au financement public de l'enseignement privé ● En socialisant l'enseignement privé, sans indemnité ni rachat, et en transférant ses personnels dans les corps correspondants de l'enseignement public ● En appliquant de façon stricte la loi de 1905 ● En allouant les moyens nécessaires au développement des solutions publiques par les personnels du public pour assurer l'indépendance de l'Éducation nationale
- https://www.questionsdeclasses.org/les-ecoles-esperance-banlieues-dans-la-tourmente-notre-contre-revue-de-presse/ ↩︎
- https://actu.fr/societe/cours-prive-charlemagne-a-argenteuil-des-accusations-qui-suscitent-la-polemique_56108344.html ↩︎