A Argenteuil, le 15 Octobre 2019
A Monsieur le Président de la République
A Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale
A Madame La Rectrice de l’Académie de Versailles
A Monsieur le DASEN du Val d’Oise
Objet : Lettre ouverte sur les derniers événements de violence dans le Val d’ Oise
Madame, Messieurs,
Ces dernières semaines, le Val d’Oise a été agité par différents faits de violence. Nous relions ces événements à un manque de moyens, à un délaissement des banlieues de la part des pouvoirs publics. Nous évoluons dans un climat tendu où la situation est urgente aussi bien pour les élèves que pour les personnels.
Le lundi 30 septembre 2019, au lycée La Tourelle de Sarcelles, un professeur d’éducation physique et sportive se retrouve cinq semaines en arrêt de travail après s’être fait frapper par un élève.
Le jeudi 3 octobre 2019, au collège Martin Luther King à Villiers-le-Bel, une assistante d’éducation se retrouve la lèvre fendue après avoir pris un coup de poing par un élève.
Le vendredi 4 octobre 2019, au lycée Paul Émile Victor à Osny, un professeur d’Histoire-Géographie se retrouve inconscient après une prise de judo faite par un élève.
Le dimanche 6 octobre 2019, un jeune de 22 ans meurt suite à un contrôle de police à Villiers-le-Bel.
Le lundi 7 octobre 2019, le lycée La Tourelle de Sarcelles connaît plusieurs départs de feu. Le même jour, à l’école Jean Jaurès de Garges-lès-Gonesse, une professeure des écoles se fait agresser par un parent d’élève et au lycée Louis Jouvet de Taverny, deux professeurs se font gifler par un élève.
Aux lycées La Tourelle, Paul-Emile Victor, Louis Jouvet et à l’école Jean Jaurès, les personnels ont exercé leur droit de retrait pour manifester leur insécurité et expliquer qu’ils ne pouvaient pas reprendre le travail dans un climat serein sans davantage de moyens.
A cela, l’administration apporte des réponses méprisantes. Aucun droit de retrait n’a été reconnu ! Pourtant un professeur a perdu connaissance suite à son agression et plusieurs départs de feu ont eu lieu.
Nous souhaiterions savoir à partir de quand vous considérez que les personnels et les élèves sont en danger.
Quand des moyens ont été donnés, ils sont dérisoires. Est-il bien raisonnable de vous contenter d’attribuer un demi poste d’AED supplémentaire dans un établissement où un professeur s’est retrouvé inconscient après une agression alors que le climat scolaire est par ailleurs tendu?
Cela sera-t-il suffisant, d’après vous, pour calmer les mécontentements des personnels et ramener un climat serein dans les établissements ?
Combien de temps encore réglerons-nous les problèmes de violence par des sanctions ponctuelles, des cellules psychologiques qui ne viennent dans les établissements qu’aux seuls moments où il y a des faits graves ? Quand déciderez-vous de vous attaquer aux problèmes structurels ?
Quand un élève étudie dans un lycée de Sarcelles, il trouve normal de ne pas être dans un établissement chauffé en hiver, d’étudier dans des salles de classes où il pleut, de faire du sport dans un gymnase en ruine. Et vous, trouvez-vous cela normal ? Dans nos banlieues, les élèves subissent la stigmatisation, la discrimination, la pauvreté, les contrôles au faciès, la répression. En tant que personnels de l’Éducation nationale, nous refusons de cantonner notre mission au simple fait de détecter de « futurs terroristes ». Vous nous rabâchez que L’École est un sanctuaire où l’égalité doit primer, pourtant nos élèves sont délaissés par les pouvoirs publics. Il est de votre responsabilité de lutter contre l’exclusion sociale. Et cela passe par l’éducation.
Nous revendiquons l’augmentation des moyens humains. Plus il y aura d’adultes dans un établissement pour encadrer et guider les élèves, plus le climat s’en trouvera apaisé. Chaque année, le nombre de personnels diminue. Nous demandons le recrutement de professeurs et d’assistants d’éducation formés et qualifiés. Comment expliquez-vous qu’un établissement voie ses effectifs passer de 1 395 élèves à 1 436 entre 2015 et 2019 et qu’il perde pourtant un demi-poste d’AED ?
De plus, un temps de concertation entre les personnels compris dans nos services est nécessaire pour mieux prendre en compte les difficultés des élèves et appréhender des situations qui peuvent être parfois très compliquées.
Les échanges entre les infirmières, les assistantes sociales, les professeurs, la vie scolaire sont cruciaux pour régler les problèmes de violence au sein d’un établissement scolaire voire en dehors. Est-il normal de découvrir qu’un élève est psychotique le jour où il agresse nos collègues ? Quand aurions-nous le temps de parler des élèves si la liste de nos missions ne cesse de s’allonger chaque année ? Comment éviter qu’un élève décroche du système scolaire et dérive vers la violence si nous ne sommes même pas en capacité de nous consacrer à gérer ses difficultés? Il est temps d’allouer de véritables moyens à l’orientation, à la prévention et à la remédiation du décrochage scolaire.
La charge de travail des personnels de l’Éducation nationale augmente et la souffrance liée à notre métier s’accroît. Les réformes que vous imposez à marche forcée ne font qu’amplifier le phénomène en alourdissant et compliquant davantage le quotidien déjà difficile des différents acteurs sur le terrain. Pourtant, lorsqu’on intervient toute l’année auprès de l’administration, c’est aux absences de réponse que l’on se heurte souvent. Est-il normal d’interpeller le Rectorat et de ne jamais avoir de retours ? Est-il normal de rédiger de multiples courriers et de devoir relancer l’administration afin d’obtenir une réponse à nos inquiétudes ou une audience ? A l’heure où l’Institution nous demande de « ne pas faire de vague », les démissions augmentent et les suicides se multiplient. Nous déplorons que dans beaucoup d’établissements, les commissions d’hygiène et de sécurité ne soient plus obligatoires et que les registres de santé et de sécurité au travail ne soient pas mis en place systématiquement. De plus, les visites médicales de prévention sont extrêmement rares dans notre métier où le taux de suicides est pourtant un des plus élevés.
Combien faudra t-il encore d’agressions, de violence, de morts pour vous faire réagir ? Combien de temps encore devrons-nous faire semblant que tout va bien ? Quand prendrez-vous enfin la mesure de la gravité de la situation ? La République que vous convoquez sans cesse et tous azimuts dans vos beaux discours ne doit pas se résumer à l’affichage du drapeau tricolore et de la marseillaise dans les classes. Quand le principe d’égalité de la devise républicaine prendra-t-il véritablement tout son sens dans nos écoles et nos quartiers qui en ont le plus besoin ?
Ces drames, ces violences et cette souffrance perdureront si vous ne donnez pas de véritables moyens à l’éducation.
Veuillez croire, Madame, Messieurs, en notre attachement au service public d’éducation.
Le syndicat SUD éducation 95